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Vassili44
Monsieur Fernand et autres récits...
 4  #1
Je suis accro
Inscrit: 06/08/2020 02:22
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Bonjour tout le monde,

J'écris depuis de nombreuses années des récits que je garde quasiment que pour moi - peut-être pas une si mauvaise idée ? 😉 - et que je partage peu : à un ou deux amis, à ma copine... Donc j'ai eu très peu de retours et je ne sais pas vraiment ce qu'ils valent, car les proches peuvent avoir tendance parfois à trouver super ce qui ne l'est pas forcément...

Je n'ai pas écrit plein de textes et je ne vais pas tous les partager ici. Mais j'aimerais avoir le retour de ceux qui auront eu l'envie et la force de lire des morceaux. Je dis "retour", ce n'est pas une obligation. Si vous les lisez simplement, tant mieux, si vous ne les lisez pas... ben ça ne m'empêchera pas de continuer à écrire comme je l'ai toujours fait.

Je préviens que mes textes ne sont pas corrigés, même si j'ai pu repasser de temps en temps pour faire quelques retouches. C'est un premier jet, généralement, avec les défauts que ça implique.

Dans ce message-ci, je compte vous présenter une série de petits textes que j'ai appelé "Monsieur Fernand". C'est la rencontre entre un homme de 40 ans et une vieil homme de 80 ans. Cette nouvelle est en cours d'écriture. Je vous présenterai la fin - bien qu'il y aura des ajouts entre le début et la fin, car la forme s'y prête bien. Je les glisserai ici, une fois que je les aurais ajoutés dans un message dédié.
Après la fin, je compte ajouter un prologue - en fait ça ne s'appelle pas comme ça, mais j'ai oublié le nom (?). C'est un ajout au récit, comme des éléments qui suivent la fin... Je suis en train de l'écrire.

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Je vous mets ci-dessous la première vidéo/audio "La rencontre" de la nouvelle Monsieur Fernand que j'ai postée sur Youtube. Les autres audios suivront au fur et à mesure.


Monsieur Fernand - La rencontre


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>>>> J'aimerais également, pour le confort de lecture, vous partager ce récit en format PDF via ce lien. <<<<<



------------- Monsieur Fernand - La rencontre ---------------



Je me souviens de ma rencontre avec monsieur Fernand qui deviendra un ami proche, ce genre d’ami que l’on connaît très bien sans le connaître vraiment.
Ce jour-là il pleuvait encore, ça faisait plus de 15 jours qu’il faisait gris, nous étions en fin d’hiver, quand le mauvais temps et le froid semble s’attarder interminablement.
Dès qu’un rayon de soleil faisait une apparition, j’en profitais pour sortir, car je savais que ça n’allait pas durer. Comme à chaque fois, je me dépêchais de m’habiller, de mettre ma veste de pluie, mes chaussures… prêt à m’abreuver de cette lumière et de cette chaleur dont j’avais tant besoin. Mais comme à chaque fois, le temps de me préparer, le soleil était parti se cacher. À la place, j’avais droit à un ciel gris, au vent qui se levait et la pluie qui reprenait du service.
Cette fois c’était la fois de trop. Je n’en pouvais plus et j’étais dans un état de tristesse particulier, celui qui s’associe avec le désespoir, alors, j’avais regardé autour de moi, comme pour y chercher de l’aide, ou du réconfort face à ce que je vivais. C’est là que je suis tombé sur un homme très âgé, qui devait avoir 80 ans au moins ; il me regarda avec ses yeux rieurs, comme s’il s’amusait de mon désespoir, mais avec un mélange de chaleur et de compassion. Il a simplement dit : « Vous savez ce qu’on dit… après la pluie… ! ».
Je ne savais pas quoi lui dire ; je vis seul depuis si longtemps que j’ai perdu ces habitudes sociales basiques. Je restai donc là à le regarder, sans réagir. La pluie commença à s’intensifier et là, il ajouta, comme s’il se parlait à lui-même : « Je ferais mieux de me mettre à l’abri…» et il se dirigea vers l’abri bus proche de chez moi.

C’est ainsi que Monsieur Jacques Fernand entra dans ma vie. Je l’appelais simplement Monsieur Fernand, malgré son insistance pour que je le tutoie : je n’y parvins jamais. Cette entrée en matière n’est pas, a priori, de celles qui peuvent changer la vie d’une personne, mais quand, comme ce fut mon cas en cette période, nous sommes seul au point où je l’étais, même une toute petite fenêtre peut laisser entrer un tel souffle qu’il peut chambouler toute votre vie.
Quiconque a déjà été terriblement assoiffé, connaît la saveur exquise que peut avoir un simple verre d’eau, pourtant si banal le reste du temps ; j’étais ici assoiffé de relation, assoiffé du social, mais je ne m’en étais même pas rendu compte, puisque je m’étais desséché au fil du temps, de façon très progressive.

Le regard que Monsieur Fernand avait posé sur moi m’avait marqué, plus que je ne voulais bien le croire au début. J’y repensais souvent et je me demandais où il pouvait vivre. Je me suis remémoré la scène et des détails me sont revenus, comme le bruit de la porte d’entrée de mon immeuble juste avant qu’il m’adresse la parole.

Je vis dans un immeuble de 4 étages où les gens vont et viennent. Je ne connais quasiment personne ce qui n’est pas exceptionnel de nos jours. Je suis là depuis le début et fais parti des anciens en quelque sorte. Je me suis rapproché de voisins, mais ils ont tous déménagé.



------------- Monsieur Fernand - Tu fais quoi dans la vie ? ---------------



Je faisais des courses de temps en temps pour lui, quand j’allais faire les miennes. Je passais chez lui pour lui proposer d’aller prendre 2/3 bricoles.

Après je m’essayais à sa table, dans la cuisine. Il me préparait un café ou un thé et posait des biscuits devant moi que je touchais à peine.
J’avais peur de me poser, de m’installer car je ne savais plus très bien comment faire la conversation. Je crois même que je ne l’ai jamais vraiment su.
Il me demanda ce que je faisais dans la vie et je ne faisais rien. Qu’est-ce que je pouvais lui répondre ? Je bégayais, hésitant, comme pris par surprise par une question piège : « Eh bien… je… enfin… je ne fais pas grand-chose… je lis… je… ». Il me regarda avec son regard amusé que je ne savais jamais trop comment interpréter.
- Est-ce que tu travailles ?
- Non, je ne travaille pas… enfin pas vraiment… lui répondis-je, de plus en plus gêné. Je n’aime pas ce genre de questions qui me rappelaient à quel point j’étais hors norme.
Malgré tout, il semblait comprendre car il me regardait sa main droite sous son menton avec un hochement de tête puis il ajouta : « Je vois… tu erres plutôt dans la vie sans but réel ? ».
C’était ça ! Et dans un soupir de soulagement je lui confessai que oui, errer c’était bien le mot. Je n’avais jamais su vraiment quoi faire de ma vie au moment où j’aurais dû le savoir, où tout le monde semblait le savoir, mais moi, je suis resté à me poser la question et cette question, je n’y ai jamais trouvé de réponses.
Il me répondit d’un air tranquille et penseur : « C’est drôle tout de même que l’on s’attende à ce que l’on suive une voie toute tracée, comme si la vie était un chemin linéaire avec des envies et des rêves constants que l’on pouvait prévoir à l’avance. C’est quelque chose que je n’ai jamais vraiment compris non plus. »
J’avais envie de lui dire : « Oui c’est ça ! Voilà ce que je ressens ! », parce que je le ressentais depuis des années et je n’avais jamais entendu personne mettre des mots dessus. J’étais soulagé. Je me contentais de soupirer en guise de réponse.

Nous avions poursuivi la conversation sur le livre que je lisais. C’était un sujet d’accroche, car lui aussi aimait beaucoup lire. Mais je ne savais jamais trop quoi raconter. Ce n’est pas que je lisais sans comprendre ou sans que les mots prennent un chemin dans mon esprit, mais j’avais trop l’habitude de marcher seul sur ce chemin, si bien que mes impressions restaient flous, immatérielles et que je n’avais jamais eu l’occasion de les définir, de les rendre visibles aux yeux des autres. Toutes mes idées, mes impressions, avaient la consistance des nuages ; quand je lisais, j’interrompais régulièrement ma lecture en posant mon livre sur mes genoux, regardant ces nuages passer au-dessus de ma tête et me laissant entraîner avec eux.
Alors, de quoi étaient fait tous ces voyages dans lesquels je m’embarquais, je ne saurais trop le dire. Et, vu que je rêvassais la plupart du temps, je ne pouvais pas non plus raconter grand-chose de ce que je venais de lire. Je prenais vraiment un chemin singulier auquel je n’avais pas donné de nom – pourquoi le nommer ? Je ne savais même pas où il allait, je le suivais, c’est tout.



------------- Monsieur Fernand - Nos promenades ---------------



Avec Monsieur Fernand, nous allions plusieurs fois par semaine nous balader. Il avait peur que cela me gêne la première fois qu’il m’a proposé d’aller faire un petit tour, mais je lui ai répondu que je n’avais pas grand-chose à faire. Monsieur Fernand était devenu à la fois un ami, un confident, un peu comme un membre de ma famille.

Cela dit, je dois avouer que je ne le connais pas vraiment et que je ne lui confie pas grand-chose, mais ce « pas grand chose » c’est toujours mieux que rien.

Il faut dire qu’il n’est pas très bavard et il a même des réactions assez étranges je dois dire. Je me souviens une fois où il m’a surpris à écouter les oiseaux et là il me dit « Tu écoutes les oiseaux ? », je lui répondis avec un sourire « Oui, ça me fait du bien ! » et là il avance vers moi levant sa canne d’un air faussement menaçant me lançant : « Foutaise que ceci ! Tu perds ton temps. Crois-tu que les oiseaux nous écoutent nous ? Ils ont bien mieux à faire... ». Je ne savais pas trop si je devais rire, alors j’ai tenté un rire indécis, ce qui donnait un rictus crispé sans doute assez drôle à voir. Il n’a pas insisté et est passé à autre chose.

Un jour, il sentait une fleur dans un arbre et, vu que je ne connais rien aux fleurs ni rien, je lui au demandé s’il connaissait le nom de cet arbre et là il me répondit « Aucune idée ! », puis d’un revers de main, l’air dégoûté il ajouta « Et puis, à quoi ça me servirait de le savoir ? » me laissant sur place, avec ma question en suspend.

Moi je me suis toujours dit que ce serait bien de connaître le nom des fleurs, des arbres, des oiseaux… mais sans trop savoir pour quelles raisons je voulais les connaître et ce que cela m’apporterait. Le soir, seul chez moi, il m’arrivait de repenser à ce que Monsieur Fernand m’avait dit lors d’une de nos balades. Parfois, même quelques mois plus tard, je comprenais un comportement ou une réflexion qu’il m’avait faite, mais la plupart du temps ça n’arrivait pas.

Vers février et mars, il arrivait fréquemment qu’il pleuve alors que nous nous baladions, alors il marchait au pas de course, de son allure leste qui me surprenait toujours, vers un abri. Si nous avions de la chance, nous étions près d’un abri bus, alors nous nous asseyions, si nous avions de la place pour tous les deux, et nous attendions que la pluie passe.

C’était les dimanches que je préférais. Je me souviens d’une de nos balades vers un campus proche de chez moi, désert le dimanche. Le ciel c’était soudain assombri, la pluie menaçait et l’on avait commencé à nous diriger vers un des nombreux abri bus qui entoure le campus : il y avait l’embarras du choix. Mais le temps d’y arriver et il s’était mis à pleuvoir. Alors, Monsieur Fernand avait, une fois n’est pas coutume, repris son pas de courses en s’encourageant lui-même avec un léger rire qui me remplissait de joie « Allez, encore un effort mon vieux ! ».

Il se parlait à lui-même avec beaucoup d’amour. Cette façon de faire m’était totalement étrangère, et je dois même avouer que je trouvais ça ridicule au début, quand j’en pris conscience. Avant de trouver ça ridicule, j’étais surpris, car je n’avais jamais vu ça.

Il arrivait souvent que Monsieur Fernand se parle à lui-même de cette façon-là. Il s’encourageait, semblait se consoler, comme si une autre personne était là, observateur de ce qui se passait en lui. J’étais surpris et, avant que cela me rende mal à l’aise, je me disais simplement « Bah… il est vieux ! », ce qui voulait dire que c’était normal qu’il perde un peu la tête. Mais tous ces trucs bizarres, je m’en rendis compte au fil du temps, ne venaient pas de sa vieillesse et du fait qu’il perde la tête. Car plus je le connaissais et plus je voyais que c’était l’homme le plus sain d’esprit que je connaissais, et quand je comparais Monsieur Fernand au reste du monde, j’avais plutôt l’impression que c’est le reste du monde qui ne tournait pas rond.

Une fois que nous avions trouvé notre abribus, nous nous installions et attendions que la pluie passe. La rue était déserte et les bus très rares. J’entendais les gouttes de pluie tambouriner sur le toit en aluminium, d’un bruit régulier qui me berçait.

À chaque fois que ça nous arrivait nous restions là, assis, sans rien dire, à regarder je ne sais quoi. Moi je fixais droit devant moi et je m’imprégnais des odeurs, du son de la pluie, du silence environnent… de la tranquillité du lieu.

Ces moments me faisaient penser que j’étais là où je devais être, le temps était suspendu. Attendre sous cet abri-bus était une activité en soi : celle d’attendre sous l’abribus. Une activité sans but précis, sans rien à atteindre, sans ligne directrice. J’aimais ces moments qui semblaient fixer l’éternel.

Je savais que Monsieur Fernand ne pensait pas à toutes ces choses-là. Quand, une fois, je lui avais parlé en ces termes il avait simplement sourit et hochant la tête. J’avais compris qu’il se disait en lui-même « Oh la la... », car son monde à lui était, j’en suis sûr, bien plus simple et bien plus silencieux. Et, à son contact, je m’imprégnais de ce silence.

Quand la pluie a cessé, que le soleil a commencé à percer derrière les nuages et que le ciel bleu a gagné du terrain, je me suis levé, puis je me suis tourné vers Monsieur Fernand. Il somnolait.

Je me demandais si je devais le réveiller ou pas. Mais je n’allais pas rester planter là, alors je l’ai appelé doucement : « Monsieur Fernand… Monsieur Fernand ! ». Puis, il a ouvert à demi son œil droit, un brin rieur, et il m’a répondu : « Le soleil… Allez hop ! Du nerfs tout le monde ! » et il s’est levé d’un bond, s’appuyant sur le banc et sa canne.

Nous avons repris notre marche et j’étais émerveillé par ce spectacle. Les plantes et les feuilles des arbres recouvertes d’eau scintillaient au soleil. Le spectacle était magique, l’air semblait plus pur, évanescent, et était rempli d’un mélange d’odeurs de terre, d’herbe et de fleurs... Ces moments après la pluie étaient mes préférés. C’était comme si la vie-même était descendue du ciel et moi, je prenais ces moments comme des réponses à mes anciennes promesses tant attendues, comme si je recevais un message, un grand « OUI » face à toutes mes questions et à tous mes doutes.

Pris dans mes rêveries, je m’étais arrêté en contemplation. Monsieur Fernand, qui avait pris de l’avance, s’était retourné et m’avait sorti de ma rêverie en me lançant, sur un ton faussement bourru un « Allons, en avant jeune homme ! Nous sommes attendus ! », alors que rien ni personne ne nous attendait évidemment. Alors je repris ma marche sous cette chaleur qui me réchauffait le corps et qui me réchauffait le cœur.



------------- Monsieur Fernand - J'ai peur de la vie ---------------



Comme je l’ai précisé plus haut, nous parlions assez peu avec Monsieur Fernand, si bien que les jours où je n’allais pas bien et où l’anxiété m’étreignait le cœur et la poitrine, je ne venais pas frapper chez lui, vers 14h, juste après la sieste et juste avant la balade qui suit.

Mais contrairement à mon habitude, il arriva un jour où l’anxiété, au lieu de me retenir, me poussa à chercher quelqu’un à qui me confier. J’allais donc chez Monsieur Fernand vers 14h. Dès qu’il me vit, il me proposa de m’installer à la table, afin de prendre un café avec lui, prétextant une fatigue ou je ne sais quoi. Pour moi, ça tombait bien.

L’eau était en train de chauffer doucement dans la bouilloire qui laissait échapper un léger sifflement de vapeur. J’entendais le tic-tac de l’horloge, juste au-dessus de ma tête. Monsieur Fernand s’affairait, tranquillement, en marchant d’un pas lent, avec des gestes soignés ; il s’occupait des plantes au moment où je décidais de lui parler.

Je voulais lui parler de mes peurs, mes angoisses et tout ce qui me traversait l’esprit sur le moment, mais je n’avais pas prévu le torrent qui sommeillait en moi et, chose rare, j’avais même laissé échapper quelques larmes.

Monsieur Fernand continuait à s’occuper de ses plantes, de bricoles, avec les mêmes gestes et la même attitude, la même présence. Il me tournait le dos et l’on aurait pu croire qu’il ne m’écoutait pas, mais je sentais que tout son être était attentif à mon récit. De temps en temps il ponctuait ce que je disais par des « Oh… ! » ou des « Ah... », et je l’ai même entendu grogner une ou deux fois.

J’ai parlé, parlé, parlé… bien plus que je ne l’aurais voulu, regrettant même des confidences dont j’avais eu honte. Je me disais « Mais qu’est-ce que tu as été dire là ? ». Monsieur Fernand m’avait laissé parler pendant tout ce temps, ce qui avait durer 1h, peut-être plus…

Puis, quand je n’avais plus rien à dire, je m’étais tu. Après un silence de 2 ou 3 minutes, il commença simplement par un « Je vois.. », ce qui voulait soit dire « J’ai entendu », ce sur quoi il pouvait laisser la conversation en suspend, sans ajouter quoi que ce soit, ou ça pouvait annoncer qu’il allait parler, dire ce qu’il en pensait. Je ne savais jamais, alors j’attendais.

Alors il reprit : « Quand ton cœur commence à vivre, tu t’affoles, tu te dis « qu’est-ce qui se passe ? »… Tu sais, j’ai 80 ans passé maintenant, j’ai deux fois ton âge, mais si l’on pouvait comparer nos deux cœurs, lequel serait le plus mort et lequel serait le plus vivant ? »

J’essuyais ce qu’il venait de me dire, car je ne l’avais jamais vu aussi franc et direct, même s’il n’est pas du genre à ménager ses interlocuteurs. Cela dit, je ne contestais pas, j’attendais la suite.

Monsieur Fernand ajouta : « Tu vois, nous nous entendons bien toi et moi, nous avons beaucoup de choses en commun… cela ne t’a jamais posé question ? Où est ta jeunesse ? Où est la vie en toi ? Comme je viens de le dire, dès que tu sens la vie monter en toi, tu paniques et tu te dis « Mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça ? », tellement, tu t’es habitué au silence. »

« Dès que tu découvres au hasard d’un détour, un soupçon de vie en toi, je l’ai bien vu, tu t’empresses de revenir sur le chemin que tu connais bien ; c’est vrai que c’est rassurant, mais c’est aussi mortel. Et chaque jour, la vie s’échappe de toi, parce que la vie te fait peur.

Je ne te connais pas très bien, tu ne me connais pas bien non plus, mais je te vois quasi tous les jours, la mine triste, figé, plus coincé que moi encore, dans de vieilles habitudes. »

Et là il se tourne vers ses plantes, les pointe du doigt et me dit : « Tu vois ces plantes, si je ne leur donnais pas d’eau, elles mourraient, mais même avec de l’eau, si je ne les plaçais pas au soleil, elles mourraient aussi… Le terreau, l’eau, le soleil… ce sont des éléments dont elles ont besoin. Si je les cache à l’ombre, elles ne brûleront pas, c’est vrai, par les rayons du soleil, mais elles ne vivront pas non plus. ».

Il continua ainsi, avec d’autres analogies dont certaines plus hasardeuses, mais l’écouter me faisait du bien, même si ça me faisait du mal en même temps. Il laissa une dernière pause avant de finir par cette phrase qui parlait encore de l’anxiété sans la nommer :

« Quand ton cœur se met à battre plus fort, tu as peur, tu crois que tu vas mourir, alors que c’est le signe que tu vas vivre… C’est la vie qui te fait peur et ça m’attriste de te voir comme ça. Tu ne devrais pas traîner avec les vieux comme moi. Même si tes visites ne me dérangent pas… ».

Il s’arrêta ici. Puis regarda l’horloge et dit : « Ah mais il est tard ! J’ai été bavard aujourd’hui... », ce qui voulait dire qu’il avait envie de passer à autre chose, d’aller se reposer et lire sans doute. Il n’y aurait pas de balade aujourd’hui.

Je lui répondis simplement: « Ah oui vous avez raison, en plus j’avais prévu du ménage aujourd’hui… », ce qui n’était pas vrai, « Il faut que j’y aille ! ».

Je le quittais soudainement et arrivé dans le couloir de l’immeuble, j’étais comme sonné par tout ce qu’il venait de me dire. Je savais que ses mots allaient résonner en moi durant des semaines, que j’allais les porter, les tourner et les retourner dans ma tête, que la nuit je repenserais à des morceaux, à des phrases, et que d’autres morceaux viendraient se mélanger dans mes rêves, d’autres personnages viendront se glisser dans cette conversation, ou même prendre la place de Monsieur Fernand ou de la mienne.



------------- Monsieur Fernand et les Martinets noirs ---------------



Contrairement à d’habitude, nous n’avions pas pu aller marcher après la sieste de Monsieur Fernand, vers 14h, car il était invité à manger dans sa famille, que je ne connaissais pas d’ailleurs. Il m’avait rappelé, l’avant-veille, que je pourrais passer, le dimanche suivant, après le souper, si j’avais le temps pour une petite promenade.

Je frappais donc chez lui vers 19h45. Il n’était pas tout à fait prêt, alors je m’étais assis dans la cuisine à l’attendre, bercé par le tic-tac de l’horloge. Je l’entendais trifouiller dans sa chambre, je ne sais quoi.

À peine 10 minutes plus tard, il sortit de sa chambre, il était prêt, nous pouvions partir. Un vent léger rafraîchissait cette journée chaude d’été, c’était comme une caresse et je le laissais me souffler au visage.

Il faisait encore chaud et nous avions fait un plus grand tour qu’à l’ordinaire. Avant de rentrer, le bleu du ciel commençait à devenir foncé : ça me donnait des frissons sans que je susse pourquoi. Ce moment précis de la journée entre chien et loup me rendait triste.

Nous entendions des sortes de sifflements stridents. Là, Monsieur Fernand s’arrêta et me dit : « Ah, ce sont des Martinets noirs que l’on entend là ! ».

Devant mon silence il me demanda, surpris : « Tu ne connais pas les Martinets noirs ? ». Je lui avouais que non, je n’en avais jamais entendu parler.

Alors il précisa : « Les Martinets noirs, ce sont eux qui font ces cris stridents que tu entends. Tu as vu à quelle vitesse ils volent ? ».

Je regardais, et, en effet, ils semblaient très habiles et faisaient des pointes de vitesse impressionnantes.

« Ils peuvent atteindre les 200 km/h et, le soir, pour dormir, ils montent très hauts dans le ciel et se laisse porter par les courants... ».

«  Ils dorment en volant !?! » répondis-je surpris !

« Eh oui jeune homme… et tu ne sais pas tout, mais ça restera entre nous, me dit-il avec un petit clin d’œil, : ils s’accouplent même en plein vol ! ».

J’ouvrais grand la bouche, sans rien dire. Puis une idée me vint en tête : « Alors, on peut dire qu’ils s’envoient en l’air… en l’air… ! ».

Je pouffais puis, devant l’absence de réaction de Monsieur Fernand, je venais de me rendre compte de ce que je venais de dire.

Il ne dit rien pendant trois ou quatre secondes qui me parurent très longues, puis me regarda, la tête penchée en avant, comme si j’étais une bête curieuse, avant de conclure :

« On peut dire ça jeune homme... Ils restent même des mois dans les airs, sans jamais se poser. ».



Même si Monsieur Fernand n’était pas du genre à radoter, comme le font certains vieux et même des gens moins vieux… Ce sujet des Martinets noirs revenait régulièrement sur la table, tous les étés je dois dire. Immanquablement, alerté par le cri des Martinets noirs, il me posait la même question : « Ah ! Voilà des Martinets noirs. ».

Je le savais maintenant, alors je ne disais rien. Sans doute prenait-il mon absence de réaction comme de l’ignorance alors il ajoutait : « Tu connais ces oiseaux ? », ce à quoi je lui répondais : « Oui, je les connais... ».

Puis, semblant réfléchir, avec sa main sur son menton et hochant la tête il disait : « Oui… j’ai sans doute déjà dû t’en parler... Quels oiseaux quand même que ces Martinets noirs ! Tu as vu à quelle vitesse ils volent ? Et si tu les voyais, le soir, si haut dans le ciel... ».



------------- Mort de Monsieur Fernand  ---------------



La discussion sur mon mal-être fut la dernière aussi sérieuse et où Monsieur Fernand fut aussi prolixe. Nous avions repris nos habitudes, nos brèves discussions sur les livres qui n’en étaient pas vraiment, puisque je restais évasif et lui ne les commentait que par une phrase ou deux comme Le joueur d’échec de Stefan Zweig qu’il avait commenté en ces termes « Un bon livre… il y a un moment où il est enfermé dans une pièce… ça porte à réflexion… ! » ; quand il avait parlé du Conte de Monte Cristo, il avait résumé le livre en ceci : « Quelle transformation que celle de cet Edmond Dantès en prison… ! ». Il disait ça en se prenant le menton, comme s’il avait pris un petit paquet sorti du livre, pour le déguster tranquillement tout seul ailleurs.

Tous les livres qu’il lisait semblait lui apporter une leçon de vie sur laquelle il méditait des jours, des semaines et même des mois.

Il avait lu un livre sur un voyageur qui avait décidé, un beau jour, suite à un deuil, de prendre le chemin de Compostel. Apparemment, c’est assez commun d’entamer ce genre de voyage suite à un deuil, et il avait précisé qu’il n’y avait pas « un » chemin de Compostel, mais plusieurs.

Il m’en parlait souvent. Ce livre avait dû le marquer plus que les autres, et il me disait « Si j’étais plus jeune, moi aussi j’irais sur le chemin... Quelle aventure ce serait ! ». Et, je sentais par moment, comme une invitation ou plutôt un encouragement à y aller, mais je restais sourd à ces suggestions.

Mais avec le temps, la discussion que nous avions eu sur l’anxiété avait commencé à infuser en moi, ainsi que toutes ses réflexions sur la vie, sur ses lectures, que nous avions pu avoir, ou simplement son attitude et sa présence calme m’avait, moi aussi apaisé.

Dans tout ce qu’il m’avait dit, il y avait une phrase qui revenait me tapoter l’esprit comme une goutte qui vient cogner un rocher. Je me disais « C’est vrai ça, ce qu’il m’a dit : je vis comme un vieux » et je l’entendais encore me dire : « Tu ne devrais pas traîner avec les vieux comme moi. », sous-entendu, « Tu devrais traîner avec des gens de ton âge ! ».

Suite à ça j’ai commencé par regarder ma vie et dès que je faisais un truc de vieux je l’entendais me dire : « Ce n’est pas de ton âge ça ! ».

Ça n’a pas été simple, mais j’ai changé pas mal de choses dans ma vie. Au début, j’ai changé de petites choses, comme mes vêtements où j’y ai mis plus de couleurs et plus d’audace, j’ai essayé d’écouter des musiques vers lesquelles je ne serai pas allé spontanément et j’en ai bien aimé, j’ai lu d’autres styles de livres, des séries plus dans l’air du temps et je me suis remis au sport alors qu’avant j’aurais plus été du genre à faire de la randonnée, donc avec des vieux et à aller jouer au tarot… donc encore avec des vieux…

Ça n’a pas été simple, car il a fallu creuser pendant des années pour trouver cette vitalité en moi. Et plus je la trouvais, moins j’allais voir Monsieur Fernand, car j’étais de plus en plus occupé.

Un jour d’hiver, où nous avions accumulé plus de 15 jours de pluie et de ciel gris, je suis allé le voir, car j’allais faire des courses et je voulais savoir s’il avait besoin de quelque chose. Ça faisait de longues semaines que nous n’avions pas été marcher et au moins 3 semaines que je ne l’avais pas vu. Je suis descendu à son étage et, sa porte était grande ouverte. Quand j’ai voulu m’approcher, j’ai vu une femme, grande, un peu plus vieille que moi, et un homme d’à peu près mon âge, grand aussi, sortir de chez Monsieur Fernand avec les bras chargés de cartons et de babioles dont l’horloge de la cuisine.

Je savais que trop bien ce que cela signifiait. Je n’osais pas leur demander quoi que ce soit. Je pris l’escalier pour descendre aller faire mes courses, le cœur lourd. Dès que je fus rentré chez moi, je suis allé vérifier s’il n’y avait pas d’annonce sur Internet… C’est là que j’ai vu cette annonce :

Monsieur Jacques Fernand – Décédé à l’âge de 87 ans, le lundi 13 avril 20** - Les obsèques auront lieu à l’Église St Paul le jeudi 15 avril à 10h.

Je me levais de mon bureau, je me dirigeais vers la fenêtre. La pluie glissait sur la vitre se mêlant à mes larmes. Je venais de perdre un ami, mon seul ami…

Je suis allé aux obsèques, quelques jours plus tard. Quand le cercueil est entré dans l’église il pleuvait comme jamais avec du vent qui faisait se retourner les parapluies. Les gens courraient les bras en l’air pour retenir leurs parapluies et ça faisait comme une danse étrange devant la patio de l’église.

Nous nous sommes tous précipités à l’intérieur. Je me suis assis au fond de l’église, car personne ne me connaissait, me mêlant à ceux qui l’avaient connus, mais que la mort rappellent.

Il y a eu beaucoup de discours, mais du fond je n’entendais rien. Tous ces gens qui semblaient le connaître, je ne les avais jamais vus. Où étaient-ils avant ? C’est drôle que je me posais cette question qu’à ce moment-là. Pourquoi je ne l’ai jamais posée à Monsieur Fernand ? C’est vrai qu’il parlait peu de sa vie privée et de son enfance.

Je ne le connaissais pas vraiment, mais malgré tout, je l’aimais. Il faisait partie de ma vie. Je savais qu’il allait laisser un grand vide et, quand la messe fut terminée, je me suis vite précipité dehors pour chasser les larmes qui me montaient aux yeux.

Dès que je suis arrivé dehors, j’ai été accueilli par un rayon de soleil qui semblait descendre du ciel. Les oiseaux chantaient et les feuilles des arbres scintillaient, comme un signe envoyé par Monsieur Fernand, un encouragement pour me dire que la vie continuait.

J’ai souris à ce spectacle à travers les larmes que je n’avais pas pu retenir.

Deux mois plus tard, au mois de juin, j’ai entrepris une longue randonnée qui m’a pris plusieurs semaines sur un des chemins de Compostel. Je ne suis pas arrivé au bout, – ce n’était pas mon but – mais je me suis arrêté aux pieds des Pyrénées.

Je l’ai fait en hommage à Monsieur Fernand et je pensais à lui tout au long du chemin, notamment le soir en allant me coucher, sous ma tente, car je dormais dehors. Je n’ai rien emporté de Monsieur Fernand, aucun objet, mais je garde tous ces bons moments que nous avions passé ensemble. Il est comme ces beaux paysages que je traverse sur mon chemin, qu’il faut savoir laisser derrière soi pour avancer, mais qui reste présent dans notre esprit, comme faisant partie de la belle aventure qu’est la vie.



------------- Qui était Monsieur Fernand ? ---------------



De longs mois se sont écoulés depuis la mort de Monsieur Fernand, et j’avais poursuivi ma vie, imprégnée maintenant de la sagesse de cet homme : elle s’écoulait à présent comme un fleuve tranquille et c’est souvent ces moments d’accalmie que choisis la vie pour faire remonter ce que l’on pensait enfui à tout jamais.

Avec ce recul, j’ai commencé à m’interroger sur la vie de Monsieur Fernand. C’est drôle que je ne m’étais pas posé toutes ces questions, du temps de son vivant. À présent, elles me venaient en tête, comme si j’essayais d’ajouter de la matière à ce qu’il a pu être pour moi, afin, sans doute, d’avoir plus de choses à me remémorer.
Je ne sais pas dans quoi il travaillait. Je ne connaissais pas sa vie d’avant et même sa vie tout court. Je sais juste qu’il avait une sœur qui venait le voir de temps en temps. Il lui arrivait d’aller chez « sa famille », comme il disait, sans que j’en sache plus. Il me disait simplement : « Dimanche prochain, je ne serai pas là pour notre petite promenade… car j’ai un repas dans ma famille. ». Je ne lui posais pas de question là-dessus. Je ne voulais pas le forcer à me parler de sa vie privée, car je voyais bien qu’il n’en parlait pas, donc je présumais que c’est un sujet qu’il ne voulait pas aborder.

Toutefois, le seul élément dont il parlait, et encore c’était de façon vague, c’était à propos de sa sœur. Il disait : « Ma sœur est venue l’autre jour me voir... ». Mais d’une façon qui n’invitait pas à la discussion. C’était une information donnée, comme ça, pour justifier une absence ou un voyage qu’il entreprenait avec elle, sans que je sache où.

Peu de temps avant sa mort, je lui avais écrit une lettre, car je voulais le remercier de tout ce qu’il avait fait pour moi et je voulais lui dire ce que ces moments passés ensemble avaient représentés pour moi.
Cette lettre, je l’ai déposée dans sa boîte aux lettres ; c’était à un moment où nous nous voyions presque plus. Je ne l’ai vu qu’une seule fois depuis. J’étais un peu gêné. Il n’a pas parlé de la lettre et je voulais être sûr qu’il l’avait bien reçue, alors je lui ai juste dit : « Avez-vous reçu ma lettre ? », pendant qu’il était en train de servir le café. Il me répondit, avec un embarras mal dissimulé : « Euh… oui… merci ! », cherchant à lever les yeux sur moi, sans oser, comme un enfant pris en faute.

Je ne comprenais pas sa réaction, mais vous savez que je ne comprends pas toujours les comportements de Monsieur Fernand, donc je mis ça sur le dos d’une de ses excentricités.

Mais tout ceci prendra sens quelques mois plus tard, par un « hasard » que cette lettre aura provoqué.



........... À suivre ...........

Contribution le : 09/03 16:01:42
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Vassili44
 1  #2
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Re,

Alors ici je vais poster 3 récits en lien avec l'enfance. Assez courts, qui seront plus faciles à lire je pense.

J'ajoute les versions audio, puisqu'elles existent, autant en profiter.

Souvenirs d’enfance – La dinde dans la baignoire

Un matin d’école, je me lève, et me dirige vers la salle de bain. Je n’étais pas encore bien réveillé. Soudain, j’entends du bruit dans la baignoire et là, je vois un oiseau énorme : « Qu’est-ce que c’est que ce truc ? ». J’avais jamais vu un volatile de cette taille.

» Une autruche me demandais-je ? » Ah sûrement pas, les autruches c’est plus grand que ça. Puis ma mère arriva derrière moi et me dit : « Chut ! Fais pas trop de bruit. « , un doigt devant la bouche. Et, devançant mes questions elle enchaina : « C’est une dinde, ton père l’a trouvée sur la route « , et elle tourna les talons subitement.

N’ayant pas la suite, et ayant une imagination fertile, j’imaginais mon père, qui était chauffeur routier de nuit, dans son camion sur une route déserte, puis soudain, voir au loin une dinde marchant au bord de la route. Alors mon père, surpris : « Ca alors ! On ne voit pas ça tous les jours. « . Je me disais qu’il avait donc dû tenter une approche pour que la dinde accepte de monter dans le camion. Alors, je l’imagine s’arrêter, naturellement, et il dit quoi à la dinde ? – « Vous allez où ? Je peux vous déposer si vous voulez… ».

Je ne savais pas si c’était exactement ça qui s’était passé, mais bon, vu que la dinde était là, il a bien fallu qu’elle accepte de monter, d’une façon ou d’une autre. Je passais donc ce détail. J’étais parti manger mes Cherrios, et au lieu de rester scotcher, à regarder le dos du paquet, occupé à résoudre les énigmes et le labyrinthe, je n’arrêtais pas de repenser à cette historie de dinde.

Une image me vint en tête et failli me faire cracher mon lait : j’avais imaginé mon père se faire arrêter par les gendarmes, car il me disait que ça lui arrivait de temps en temps, alors là les gendarmes l’arrête : « Bonjour monsieur, peut-on voir votre permis et les papiers du véhicule s’il vous plait ! », et là ils voient une dinde sur le siège passager. C’est imaginer leurs têtes qui avait failli me faire recracher mes céréales.

La dinde est resté environ trois jours dans la baignoire. Pas moyen de prendre des douches, même si faut dire, qu’à cet âge-là, je n’en prenais pas souvent.

Quand j’ai demandé à ma mère où était la dinde, elle me répondit seulement, d’un ton sec : « Elle n’est plus là. ». Je n’insistais pas, car je savais que je n’aurais jamais de réponse.

Aujourd’hui, je sais où était passée la pauvre dinde…

J’ai aussi su plus tard, que la dinde était tombée d’un camion qui la dirigeait tout droit à l’abattoir. Mon père l’avait simplement ramassée sur la route.

Finalement, les trous dans cette histoire et les silences de ma mère, furent comblés par mon imagination d’enfant qui servait aussi à embellir des moments difficile à vivre ou à entendre. Malheureusement, pour l’enfant que j’étais, la vie allait encore lui préparer d’autres surprises qu’aucun silence ni aucune belle histoire ne permettront de préserver.

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Souvenirs d'enfance - La dinde dans la baignoire

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Impressions d’hiver

J’étais à la campagne avec mon père. Nous trouvions parfois des croix au bord des chemins, mais ici il n’y en avait pas. Peut-être qu’il y en aurait plus tard…

Le temps était froid et brumeux. Cette brume semblait hésiter à nous ensevelir, mais s’était arrêtée et assoupie à mi-chemin, proche du sol, laissant ses songes s’étaler dans l’air humide.

Je voyais le champs devant moi, nu et sec, avec ses épis agonisants dont certains avaient craqué, pliés en deux et semblaient s’être figés dans un cri muet. Au loin, je voyais une butte accompagnée de quelques arbres rescapés du massacre d’une forêt oubliée.

Cette butte me ramenait aux cours d’Histoire et je revoyais Verdun, tel que je me l’avais un peu imaginé. Ce n’était pas Verdun, mais l’esprit qui ignore s’accommode bien des approximations et des erreurs, au lieu de me freiner dans mon imaginaire, je crois que ça le nourrissait que mieux.

Je sentais le froid me crisper les mains et j’imaginais les fusils que les soldats avaient du mal à tenir. Derrière la butte c’état une tranchée. J’entendais les cris désarticulés et je sentais l’odeur de poudre, mélangée à l’odeur rêche de la terre argileuse et du sang. Cette terre collait aux bottes et suçait la vie des hommes. Ce froid pénétrant, que moi-même je sentais, me rapprochait de ces histoires : il me laissait légèrement entrevoir ce que ça a pu être, bien que jamais je ne pourrais me l’imaginer ; mais je me sentais ici, arrêté au milieu de ce champ, plus proche d’eux que je ne l’étais en classe.

Je croyais entendre leur « Pourquoi ? » qui resterait suspendu dans l’air jusqu’au jour où, par chance, pour certains, ce « Pourquoi ? » se transformait en « Enfin… » quand la pointe du reste d’une flamme s’éteint dans le souffle glacé de l’hiver.

J’étais accroché à ce drame qui se passait presque sous mes yeux, quand mon père, ayant pris un peu d’avance, se retournait et me lança avec une douceur qui était plus dû à la pudeur qu’à la bienveillance : « Viens ! ». Et là, reprenant ma marche, évitant les épis pointus, je laissais mes songes que la voix de mon père avait fait éclater en millions de petits morceaux qui, s’envolant dans les airs, avaient rejoint ceux de la brume hivernale.

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Souvenirs d'enfance - Impressions d'hiver

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Les dimanches

Le dimanche n’est pas un jour comme un autre. Alors que j’aimais le samedi, mais encore plus le vendredi, qui était lui porteur d’espoir et bien qu’arrivant en fin de semaine, semblait généreux par ce qu’il ouvrait et ce qu’il avait à offrir. Quant au dimanche, c’était un jour sombre qui sonnait le glas des joies du week-end et ouvrait une fenêtre sur une semaine grise et brumeuse qui, même au printemps, me donnait des frissons.

Le temps même des dimanches m’apparaissait différent, à la fois lent et rapide. Dans l’après-midi il semblait lent et j’avais le cœur insouciant, alors que le soir les minutes accéléraient. Tous les dimanches se déroulaient telle une vie, avec l’enfance et ses espoirs, finissant par des regrets desquels je cherchais à m’échapper.

J’étais alors témoin d’une lutte : je tentais de retenir le plus possible chaque minute que je savais précieuse car elle me rapprochait de l’inéluctable. Je savais ce qui allait se passer, mais je chassais cette idée de mon esprit, comme si je pouvais changer mon destin ; une voix en moi me disait « si tu n’y penses pas, peut-être que cela n’arrivera pas » et j’essayais de glisser un nouveau jour entre les jours existants ; je me disais qu’il y avant sans doute une issue à laquelle je n’avais pas pensé. À force de réfléchir ainsi, j’arrivais à douter, un peu, que l’impossible puisse être possible. Je rêvais d’une autre réalité et c’est sans doute ainsi qu’est né mon attrait pour les histoires, pour les livres ou les films car ils rendaient réelle cette envie persistante en moi de fuite.

Le monde est régi par des règles avec lesquelles je n’étais pas d’accord. Le monde qui s’ouvrait chaque lundi était un monde pluvieux, triste et froid. Je ne voulais pas entendre parler du « lundi ». Au fond de moi, je refusais cette semaine : pourquoi m’oblige-t-on ? J’avais envie de me cacher quelque part, de rêver éternellement. Je voulais emporter avec moi l’insouciance des dimanches quand le soir n’est pas encore tombé. Au fond, je rêvais d’un dimanche éternel, une vie où les lundis n’existent pas.

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Récit d'enfance  - Les dimanches

Contribution le : 09/03 16:07:56
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Skwatek
 1  #3
Je poste trop
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Vivement la suite de "Monsieur Fernand".

Contribution le : 09/03 18:44:16
_________________
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Penser le Rien n'est jamais penser à rien.
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Vassili44
 1  #4
Je suis accro
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@Skwatek,

Merci. 🙂

Contribution le : 09/03 20:04:33
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papives
 3  #5
J'aime glander ici
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@Vassili44 la lecture des premiers chapitres de ton topic ont réveillés le souvenir d’une rencontre qui m’avais marqué.
J’ai travaillé longtemps à la police de Bruxelles et, un soir, j’ai fait une nuit de permanence à la réception d’une division. Nous faisions cela régulièrement après quelques semaines d’interventions. C’était une nuit d’hiver très calme et presque personne ne se présentait alors je passais mon temps à faire des mits-croises quand un homme entre 50 et 60 ans se présente vers 23 h30. Je lui dis bonsoir et lui demande la raison de sa visite pour savoir vers quel service je dois le diriger et, il commence à me raconter qui il est, qu,il esta été sans abri et à été logé dans une sorte d’asile, etc, etc, et quand je lui demandais la raison de sa visite il me répondait à chaque fois: attendez, je vais y venir et il continuait ses histoires. En temps normal, quand il y a beaucoup de monde qui se présente, je n’aurais pas eu cette patience et l’aurais dirigé vers la sortie mais vu le calme de la nuit, je l’ai laissé raconter ses histoire tout en continuant mes mots-croisés et levant de temps en temps la tête en disant : « ah oui, bien sûr, ou toute autre banalité »
Après un peu plus d’une heure, il s’est tu, a gardé le silence quelques secondes puis s’est approché de moi avec la larme à l’œil et a prit ma main en la serrant en disant: vous ne pouvez pas savoir le bien que vous m’avez fait en me laissant parler et m’écouter, j’ai repris confiance en moi et goût à la vie.
Quand il a été partis, je me suis senti tout retourné, ému, et content en pensant qu’en d’autres circonstances il aurait pu mettre fin à ses jours.

Contribution le : 09/03 21:52:49
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Vassili44
 1  #6
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@papives,

Très belle histoire ! C'est un beau cadeau que tu me fais de me la raconter. Vraiment, car pour moi ces histoires ont une place très importantes dans ma vie.

Contribution le : 09/03 22:57:11
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